Filature Nant Aveyron 

Familles ARNAL et GUILHOU

par  Monique et Alain BONNEMAYRE , Suzanne BARTHE

Témoignages du passé

Nous vous proposons aujourd’hui des témoignages recueillis en 1997 par Monique et Alain BONNEMAYRE, concernant UNE FILATURE de LAINES du PAYS (Teinture et tricotage) installée à NANT de 1884 à 1967. Il s’agit là de témoignages fort intéressants tant sur le plan de l’histoire locale, que sur le plan technique et sociologique, ainsi que sur les plans généalogique et démographique. Merci à Monique et Alain pour ces témoignages du passé !

En 1884,

Charles Arnal, grand-père de Jean Guilhou, avait acheté la filature avec ses machines.

La filature de Jean Guilhou,

à Nant Aveyron, a fonctionné jusqu’en 1967. Elle était située en contrebas de « l’Herbe du Claux », à côté d’un moulin et dominait la Dourbie, près du pont de la Prade. Les canaux qui proviennent du Durzon et qui traversent le village se séparaient en deux pour alimenter en énergie, d’une part le moulin, d’autre part la filature, en remplissant un grand bassin que l’on appelait la « gourgue » qui faisait 4 mètres de côté sur 5 mètres de profondeur. L’ouverture de la vanne, placée sur un tuyau appelé « coursier » à la sortie de la gourgue, libérait l’eau, qui chutait fortement sur la roue à cuillers de bois « le rodet » qui tournait et transmettait son mouvement à l’arbre de transmission …

 

Filature de laines du pays à Nant de 1884 à 1967, Jean Guilhou.

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En bas du bâtiment,

la batteuse à laine ; à côté, les quatre machines qui ont à peu près la même taille et dans lesquelles la laine passe tour à tour.

A l’étage au-dessus,

le métier à filer, une mule-jenny qui datait de 1880 et la doubleuse.

Et au dernier étage,

le retordoir et les anciennes machines qui servaient à tisser le drap.

Dehors, le grand chaudron en cuivre pour teindre la laine et le bassin pour la laver et la rincer. Des grillages sur des piquets pour la faire sécher.

Le plan de la filature rue du Moulin à Nant par Alain Bonnemayre.

Ci-dessus, implantation de la filature avec ses différents niveaux – croquis d’Alain Bonnemayre

La force hydraulique de l’eau du Durzon,

Le tout fonctionnait avec la force hydraulique, de l’eau, en provenance de la source du Durzon, grâce aux moines bénédictins qui construisirent les canaux que l’on connaît encore aujourd’hui. Une conduite forcée traversait, sous les bâtiments et amenait l’eau à une turbine qui, par un système d’axes et d’engrenages, faisait tourner toutes les machines.

Joseph Portalès,

le fileur en place, qui cajolait sa machine, ne voulait pas qu’on la lui dérègle. Pendant 30 ans Joseph Portalès, un ouvrier qui avait appris le métier à Lodève, a fait fonctionner la mule-jenny. Il habitait St-Jean du Bruel et faisait le trajet à pied, par tous les temps, sauf les dernières années où il venait en vélo. La filature n’a pas fonctionné pendant la guerre de 14-18 car il y était partit et son patron a eu une idée pour compenser le manque de revenu que lui apportait son employé.

Charles Arnal,

ne savait pas se servir du métier à filer. En 1914, il eut l’idée d’acheter deux batteuses pour dépiquer le grain sur l’herbe du Claux : en effet, fin juillet-début août, les épis étaient dorés et prêts à être fauchés. Les paysans arrivaient avec leurs charettes chargées de leur fenaison et il fallait dépiquer, c’est à dire séparer les grains de la paille des céréales par foulage et roulage des épis. C’était le travail des batteuses qui tournaient grâce à l’énergie hydraulique, de la filature, transmise par l’arbre vertical primaire, que l’on peut voir sur le croquis d’Alain Bonnemayre.

Après le décès,

de Charles Arnal le 25-08-1931, qui était né le 5-11-1850, à Nant, la famille Guilhou reprend la filature, en 1932. Jusque-là, la filature avait fonctionné comme à l’origine, la laine filée était livrée en pelotes de 100g, exécutées avec une pelotonneuse à main.

En 1936,

Jean Guilhou épouse Yvonne Arnal, employée des PTT à St-Jean du Bruel.

Après diverses transformations, la filature reprend une nouvelle activité. Le fileur est toujours Joseph Portalès.

En 1939,

Jean Guilhou est mobilisé et la filature ferme. Quand il rentre de captivité, Joseph Portalès a pris sa retraite. Jean Guilhou était allé apprendre à filer chez M. Dueyme, à Rodez, en 1934, où il y avait déjà un renvideur et des machines plus modernes. Il forme comme fileur un jeune cousin, Jean Arnal, qui file pendant quelques années. Il emploie des femmes pour les autres machines, Yvonne Frayssignes y est restée longtemps.

Pendant la guerre,

Jean Guilhou avait hérité d’une tante, modiste, un magasin qui existe toujours, place du Claux. En 1943, son épouse, Yvonne Guilhou quitte son emploi et y vend du linge de maison, des vêtements de confection et, bien sûr, les produits de la filature : la laine de pays en écheveaux, des combinaisons, des pull-overs et des chaussettes. Jean Guilhou fait des tournées dans les environs, ainsi que les foires, encore nombreuses à cette époque.

En 1945,

Yvonne Jouffrey (1) entre à la filature. Cette jeune fille apprit le fonctionnement de la mule-jenny. Elle fut la première femme à tenir l’emploi du fileur, jusque là réservé à un homme.

17 ans à la filature, jusqu’à son mariage en 1962. Elle sera ainsi la dernière fileuse.

En 1951,

Jean Guilhou confie les tournées à Jean Deniort. A partir du 15 avril 1951, Jean Deniort est employé pour faire des tournées. Au volant d’un Renault de couleur bordeaux, aménagé, qui portait l’inscription : «  Au Plaisir d’Acheter », il sillonne les routes des Cévennes jusqu’à Dourbies et l’Espérou, du Causse Noir et du Causse du Larzac. «  Dans les foires, on y allait à deux, souvent avec Jeannette, mon épouse, Sauclières, St-Jean du Bruel, à Alzon, Le Vigan, Lanuéjols, Veyreau, Meyrueis, Lodève. ».

Jean Deniort, Jeannette Deniort et Jean Guilhou à droite sur un marché de la région de Nant.

Au cours de ses tournées, en plus de la vente des vêtements, il procédait à des échanges : les gens lui confiaient de la laine brute, lavée une première fois, qu’il leur rapportait au passage suivant, filée et teinte à la filature. Chez des femmes âgées, à Veyreau surtout, où il passait le deuxième dimanche du mois, il laissait de la laine pour qu’elles tricotent des chaussettes d’hommes qu’il reprenait pour les vendre.

De la laine blanche

Les femmes achetaient de la laine blanche pour faire leurs chaussettes, sous le genou ; les grands-mères la prenaient noire et se tricotaient des bas qu’elles maintenaient avec un élastique au-dessus du genou. Souvent, pour consolider le talon, elles ajoutaient au fil de laine un fil de coton à repriser.

 

Les blouses de l’époque

Parmi les vêtements qui ne se font plus actuellement, les blouses : blouses noires d’écolier, boutonnées sur le côté, avec un liseré bleu ou rouge autour de l’encolure et tout le long de la patte de boutonnage ; blouses pour fillettes en vichy ou en zéphyr bleu, rose ou rouge ; blouses des élèves pensionnaires des collèges, obligatoires dans le trousseau : grises pour les garçons, beiges pour les filles.

 Blouses noires pour le deuil

Quant aux femmes qui portaient toujours le deuil, ou, au bout d’un an le demi-deuil de quelque parent, elles avaient des blouses noires avec des petites impressions, souvent des fleurs, grises, mauves ou bleues.

 

Chapeaux, bérets, toiles à matelas

« J’ai vendu des quantités de vestons noirs, de gilets, les devants en velours, le dos en satin, de pantalons de moleskine, ou encore en velours côtelé noir, de caleçons, de ceintures de flanelle (trois mètres à enrouler autour de la taille). Pour les femmes, des culottes ouvertes à jambes, molletonnées pour l’hiver, en finette rayée avec un petit volant pour l’été. J’oublie les bérets, les casquettes et les chapeaux de paille. Je vendais aussi beaucoup de toile à matelas. Des vieux paysans m’achetaient des lençols en patois, ou draps de fatigue, sortes de draps en toile de jute de 2m sur 2 ou 2,40m sur 2,40, qui, remplis de foin, les quatre coins attachés ensemble, se portaient sur le dos  » se souvient Jean Deniort.

 

Discrétion assurée

Certaines clientes n’aimaient pas que leurs voisines voient ce qu’elles avaient acheté. « A la Resse  », raconte Jean, «  j’aboutissais au cap d’un serre et je cornais. J’avais là trois clientes. La première se dépêchait : servisse me vite !. Sitôt servie, elle enfouissait ses achats dans son grand sac à provisions noir et elle partait. La deuxième apparaissait à son tour : servisse me vite !, mais elle était encore là quand la troisième arrivait et lui demandait : alara, vessine, dè quas croumpat ?. L’autre se fa michanto mine et dis : Aquo té régarde ? et elle partait  ».

En 1957,

il remplace la mule-jenny par le grand renvideur. Pour l’abriter, il fait démolir une vieille bâtisse et fait construire à la place un grand atelier dont le toit en terrasse servira à sécher la laine. La doubleuse et le retordoir sont descendus dans cet atelier. Ce renvideur n’a fonctionné que 6 ans, jusqu’en 1962.

La filature créée vers 1850 a cessé de tourner. Yvonne Frayssignes a continué à être employée au magasin, jusqu’à ce que Jean et Jeannette Deniort prennent la suite en 1967 jusqu’en 1987.

La concurrence arrive

Les années d’après-guerre, où on manquait de tout, ont été les meilleures pour la filature. Puis il y a eu la concurrence du nylon et de la fibranne. La laine peignée a été préférée à la laine cardée, et les mélanges à la pure laine de pays. D’autres filatures ont subsisté un peu plus longtemps. Le filateur de St-Rome de Tarn s’était équipé à Villeneuvette, près de Clermont-l’Hérault, de cardes qui faisaient du bon travail. La filature de Coudols a été la dernière à fermer.

Jean Guilhou ajoute : « Peut-être qu’aujourd’hui, (1997), la vraie laine de pays, comme celle que je faisais, se vendrait bien !  »

Il a pris sa retraite et a fermé la filature en 1967. Jean et Jeannette Deniort ont repris le magasin à leur compte et ont continué à vendre, en plus des vêtements, de la laine des filatures de Villecomtal ou de Coudols et des grosses chaussettes de laine, jusqu’à leur retraite en 1987.

Témoignages recueillis fin d’année 1997 à Nant

Yvonne Jouffrey, (retour au récit)

maman de notre ami bien connu à Nant que les intimes appels « Bobosse », avait 16 ans quand elle a commencé à travailler à la filature de Jean Guilhou à Nant en 1945. A ce moment-là les machines étaient toutes dans les bâtiments anciens, sur plusieurs niveaux.

Yvonne a travaillé sur presque toutes les machines qui cardaient la laine, elles avaient toutes un nom, dans l’ordre, le diable, la trousse, la repasseuse et la bobineuse, d’où sortaient les fils enroulés sur deux gros bâtons, les cannelles.

Elle a appris à filer sur la mule-jenny. Dans les filatures, le fileur était, par tradition, un homme, mais pourquoi pas Yvonne, jeune et forte. Les 12 cannelles mises en place, les fils passés où il fallait, elle actionnait à la main une manivelle pour faire revenir le chariot, les fils se déroulaient, s’étiraient et se tordaient sur trois mètres. « C’était joli à voir », disait-elle. Il fallait repousser le chariot avec le genou, un petit coussin amortissait le choc. Alors là, les 144 broches tournaient, le fil se renvidait sur les broches et on recommençait jusqu’à ce qu’on obtienne des fusettes qu’on portait à la doubleuse puis au retordoir.

Il y avait aussi de la « laine nappée », sur commande pour confectionner les couvertures piquées.

Elle s’est aussi servie des machines à tricoter. Il n’y en a qu’une qu’elle n’a jamais utilisée, la surjeteuse avec laquelle on assemblait les pièces des pull-overs. « C’est Yvonne Frayssignes qui faisait ce travail minutieux. »

Plus tard la mule-jenny a été remplacée par un grand métier à filer, un renvideur, machine toute automatique, de 20 mètres de long. Il y avait un moteur électrique, mais 240 broches à surveiller. Si un fil cassait, il fallait se dépêcher de le renouer en marche avec un nœud marin qu’Yvonne sait encore faire sans hésiter.

De bons souvenirs

Yvonne a travaillé 17 ans à la filature, mais elle n’en a gardé que de bons souvenirs. Elle accompagnait parfois Jean Guilhou et Jean Deniort dans les foires où ils vendaient la laine filée et les articles fabriqués à la filature. Elle se souvient aussi avoir vendangé la petite vigne de M. Guilhou, et être allée aux champignons dans le Lingas, avec la famille Guilhou, Jeannette et Jean Deniort. Ils emportaient le pique-nique et passaient de bonnes journées.

Yvonne est partie de Nant en 1962 et elle s’est mariée.

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